La France traverse une période délicate de sa longue histoire et si la Terreaurialisation était la solution ?
Tribune co-écrite par Jean-Philippe Delbonnel , Président du Groupe Delbo Presse et Michael Guerin, expert en collectivités locales
Crise économique, sociale, environnementale, sanitaire et maintenant politique…
La France traverse une période délicate de sa
longue histoire. Les résultats des dernières élections ont montré une France divisée. Divisée au plan national… Mais pas forcément au plan local. Quand tout va mal, le réflexe est de se recentrer sur son environnement proche. Live local, think global… Le contrôle sur nos vies locales est loin d’être perdu. C’est tout le sens des diverses politiques de localisation, déconcentration, territorialisation, décentralisation menées depuis tant d’années, jusqu’à la toute dernière loi 3DS. À ces mots, tous porteurs de sens, nous avons choisi un néologisme qui nous semble résumer et reprendre toutes ces actions et faire sens : la Terreaurialisation, c’est-à-dire pouvoir construire dans les territoires, les terroirs, en utilisant le terreau local.
En effet, il nous semble important de comprendre que même si la nation est une et indivisible, elle est aussi la France des 1000 fromages. Le Général De Gaulle précisait même :
« comment voulez-vous gouverner un pays où il existe 258 variétés de fromages ? ».
C’est-à-dire s’il y a un humus commun, chaque territoire produit son propre parfum, sa propre spécialité. Les bêtises de Cambrai ne sont pas les calissons d’Aix, les panisses de Marseille ne sont pas la flamiche au maroilles… Il en va de même pour les politiques locales. On ne peut pas gérer une commune selon les mêmes principes que l’on soit dans une mégalopole de près de 15 millions d’habitants ou dans un village.
La Terreaurialisation part du local et de ses spécificités pour construire des actions qui peuvent s’emboiter dans des réalisations plus grandes. L’Europe a inventé la subsidiarité, la France devrait grandement s’en inspirer, permettant au local de travailler selon ses spécificités, de construire selon ses possibilités, pour ensuite rentrer dans le sens et le pot commun, dans le creuset de la nation. Autrefois l’on parlait de vivre et travailler au pays ; il est nécessaire de revenir à cette acception ; non pas par un tropisme localiste flirtant avec un régionalisme excluant mais bien en permettant aux forces vives des territoires de pouvoir s’exprimer pleinement pour s’épanouir et essaimer.
Il ne s’agit pas d’opposer des territoires entre eux, de rejouer Intervilles en interco, mais bien de s’appuyer sur les forces des territoires pour créer un tout qui nous dépasse tous. La pandémie de Covid a mis en lumière certaines faiblesses et travers des modèles organisationnels, liés au besoin de s’adapter à la mondialisation. Si la dépendance logistique ou économique vis-à-vis de fournisseurs lointains dans des chaînes de fabrication et d’acheminement complexes peut se comprendre, celle-ci a conduit à la perte de pans entiers de souveraineté et de compétitivité, un dumping social, ainsi que la destruction parfois irrémédiable du tissu industriel local.
Dès lors, on a beaucoup entendu parler de « réindustrialisation» et de « relocalisation », avec cinq domaines jugés stratégiques, santé, électronique, agroalimentaire, télécoms et intrants pour l’industrie, pour lesquels le gouvernement tente de favoriser une relocalisation de la production, au moins en partie, car en fait de réindustrialisation, il s’agit d’industrialiser selon de nouveaux modes , via la transformation numérique et l’innovation, en s’appuyant par une nouvelle articulation entre local et global. C’est ce que nous proposons via la Terreaurialisation : l’innovation existe aussi dans les formes sociales, sociétales et écologiques.
C’est un accélérateur de changement mais aussi de ressourcement : comment refaire corps avec le substrat de nos terroirs ? Comment appuyer une « souveraineté» locale, créatrice de valeur sur son territoire ? Au-delà, cette Terreaurialisation peut jouer un rôle de contre-pouvoir économique, mais aussi politique, au sens organisationnel du terme. Au-delà du reflux de la vague libérale et de désengagement de l’Etat , portés par Reagan et Thatcher, il s’agit de retrouver ce qui fait nation, ce qui fait corps, ce qui fait « communs », pour que les décisions ne semblent plus toutes imposées du haut, voire même du loin ; au contraire, il serait question de co-construction, de co-création, selon les spécificités locales.
La limitation du rôle de l’État aux fonctions régaliennes et au maintien de l’ordre n’est plus la loi d’airain. Les crises environnementales, sociales et désormais sanitaires nous ont fait prendre conscience de la nécessité de revoir le fonctionnement de l’État, mais aussi que sa centralisation n’était pas une solution… Si l’État reste à l’initiative de l’action en le dotant de moyens considérables, les mille et une initiatives locales, basées sur les spécificités territoriales ont montré toute l’agilité de nos provinces et de nos banlieues… Sur le principe, ce retour du local du terroir, a tout pour être l’une des solutions à la crise, le champ politique étant, malgré tous les défauts dont on peut l’accuser et tous les soupçons dont il est l’objet, une expression de la volonté populaire, c’est-à-dire du plus grand nombre.
Il tient compte de l’intérêt général plus que tout autre. Et une politique de commandes publiques a montré plus d’une fois dans l’histoire sa capacité à rétablir la santé de l’économie, signe manifeste de la santé de la société. Ce que beaucoup d’élus locaux ont compris.